La Place Cléricée


Extrait du chapitre V de

« La Place Cléricée » sous-titré « Flétrissures, carcans et exécutions publiques dans une petite ville de province au XIX ème siècle »


Depuis notre retour des archives du Jura, je m’employais à relire les procès photographiés et enregistrés sur l’ordinateur, afin de choisir ceux auxquels je redonnerais vie, par la magie de la retranscription. Celui des deux meurtrières faisant partie de la sélection, je décidai de me rendre à Lons-le-Saunier, pour assister à la double exécution.
L’atmosphère très lourde de ce début septembre m’oppressait, je sentis même une angoisse m’envahir au moment de prendre la route. Avant de sortir la voiture du garage, je descendis jusqu’à la boîte aux lettres chercher le journal et le déposai sur la desserte de l’entrée, ainsi mon époux le trouverait à son lever. Puis, comme à l’accoutumée, je montai fermer la fenêtre du bureau. Le jour se levait à peine et ne dérogeant pas à mon habitude, je restai un instant devant la croisée ouverte, à contempler l’horizon.
Ce matin-là, après quelques averses nocturnes, des nappes de brouillard d’où émergeaient les tours des Résidences, montaient du canal pour engloutir entièrement le village. Les clartés jaunes des lampadaires de Bavilliers et du port d’Essert trouaient l’horizon. Toutefois, les collines de la Haute- Saône proche et les lointains sommets des montagnes suisses restaient noyés dans les voiles éthérés de la brume. Une forte odeur d’humus et de terre mouillée s’élevant de la pelouse humide, commença à m’enivrer doucement. Un geai des chênes, habitué des lieux, se posa sur la table ronde du jardin. Saisissant une noix dans son bec, il s’envola prestement dans un battement de ses ailes bleues ciselées de noir. J’inspirai profondément et perdis mon regard dans les lointains cotonneux de cette contrée devenue mienne, depuis de longues années déjà.
Soudain, je regardai ma montre et commençai à m’activer. Je n’avais guère plus de deux heures devant moi, pour gagner la cité jurassienne. Arrivée sur l’autoroute, je m’engageai dans le flot incessant des poids lourds venant d’Europe de l’Est et roulant vers l’Espagne. Les phares de ceux qui faisaient la route en sens inverse avec leur chargement de fruits et de légumes espagnols, me vrillaient les yeux au détour des virages. L’autoroute était très chargée en ce milieu de semaine, mais je n’avais pas le choix, l’exécution des deux domestiques ayant été fixée au jeudi, jour du marché lédonien.

Arrivée à Lons-le-Saunier, je me garai sous le marronnier centenaire, tout près des lavoirs de la Vallière qui coulait à côté de notre ancienne école primaire, à mes sœurs et à moi. Ma C3 faisait tache au milieu des attelages de chevaux, des charrettes à bœufs, des chariots et des chars à quatre planches stationnés sur la place des artisans du quartier de la Fusterie. J’écoutai un instant les sabots des bestiaux qui piaffaient sur les pavés tout en renâclant bruyamment et respirai un air chargé des remugles d’urine, de crottin et de bouse qui se dégageait de cette ferme en goguette. Je franchis le Canal des Moulins avant de bifurquer en direction de la place Cléricée. Huit heures sonnaient à la Tour de l’Horloge, tandis que retentissaient les tambours. J’étais en retard et me parvenait déjà la voix forte du greffier proclamant : « En l’an 1812, le trois septembre, nous, Claude, antoine Brand, « nous sommes rendu » à huit heures précises du matin du présent jour, dans la maison habitée par Georges Clopf sur la place Cléricée de Lons-le-Saunier, pour assister à l’exécution d’Hélène Blondeau et Justine Laurent, toutes deux servantes, demeurant à Arbois et condamnées à la peine de mort. »

La suite est à découvrir dans le livre...

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire